La clé du succès et du développement en pratique vétérinaire rurale

Comment créer ou recréer du lien avec les éleveurs

« L’homme construit trop de murs, et pas assez de ponts » – cette citation d’Isaac Newton illustre l’un des écueils de la relation humaine, écueil auquel n’échappe pas la pratique vétérinaire. Individualisme, manque de temps, soucis au quotidien – les raisons de la rupture sont nombreuses, qui ferment des portes et limitent les interactions essentielles au maintien et au développement de l’activité.

Car si certains praticiens s’épanouissent en allant à la rencontre de leurs éleveurs, un certain nombre de confrères expriment leur désarroi à devoir attendre parfois que le téléphone sonne. Et cette situation ne doit pas être une fatalité.

Les éleveurs ont besoin de leurs vétérinaires. Certes pas comme avant, où le praticien sachant était roi, dans une relation quelque peu inégale. Les éleveurs d’aujourd’hui sont de grands professionnels, avec des besoins bien définis que l’on peut relier à la célèbre pyramide de Maslow (cf. illustration) :

Besoin de survie (Besoins physiologiques) : il s’agit d’assurer les besoins fondamentaux de l’élevage, résumables en trois points :

  • Assurer le maintien et le renouvellement du troupeau via la maîtrise de la reproduction
  • Maintenir les animaux en bonne santé via les conditions d’élevage, la prévention des maladies et le suivi sanitaire
  • Optimiser les performances des animaux. Ces trois aspects constituent le socle de la base de la relation vétérinaire-éleveur à travers le contrat de soins

Besoin de sécurité : il s’agit d’assurer la pérennité de l’élevage, d’un point de vue sanitaire et économique. À ce niveau, l’éleveur a besoin de se sentir soutenu, informé, rassuré, conseillé par ses différents interlocuteurs (contrôle laitier, insémination artificielle, nutrition animale, GDS…), vétérinaire compris.

Besoin d’appartenance : les éleveurs d’aujourd’hui sont de plus en plus connectés et cherchent comme tout un chacun à faire partie d’une communauté. Les praticiens ont toute leur place dans cette communauté et ont à leur portée les outils de communication adéquats.

Besoin de reconnaissance : le monde de l’élevage est schizophrène, entre une image idyllique de conservation du patrimoine et des attaques sociétales de surexploitation des ressources, maltraitance animale et pollution.

Les éleveurs ont besoin d’entendre que leur métier est utile, valorisé, essentiel au tissu économique locorégional. Le vétérinaire est un acteur majeur de la reconnaissance des éleveurs, car il est à leurs côtés dans le maillage sanitaire, l’évolution de la production animale et la défense d’un modèle productif qui reste aujourd’hui incontournable.

Besoin d’accomplissement de soi : le besoin ultime d’affirmer son caractère unique, de faire ses propres choix, de définir sa propre stratégie. Dans le cadre d’un élevage, il peut s’agir de s’orienter vers des pratiques nouvelles, alternatives, dans le cadre d’un accompagnement vétérinaire adapté. Comme on le voit, le vétérinaire a sa place à prendre à tous les niveaux de besoin de l’éleveur. La clé de la relation, c’est de partir du besoin des éleveurs.

Pour ce faire, il faut avant tout faire preuve d’empathie : ce terme, très galvaudé de nos jours car adapté à toutes les sauces psycho-philosophiques, désigne simplement la reconnaissance et la compréhension des sentiments, des émotions et des croyances d’un autre individu – il s’agit somme toute de « se mettre à la place de l’autre ». En termes marketing, on parlerait de vraie « orientation clients » :

  • D’abord s’intéresser sincèrement à l’éleveur : prendre des nouvelles, communiquer en dehors du simple contrat de soins, générer les interactions, à travers des réunions par exemple. Il s’agit également de comprendre pourquoi ce qui est en place ne fonctionne pas ou mal, ou pourquoi rien ne se met en place avec cet éleveur.
  • Ensuite identifier le niveau de besoin. Selon la théorie de Maslow, le passage à un niveau de besoin supérieur ne peut s’envisager que lorsque le besoin « en cours » est satisfait.
  • Puis c’est la phase de construction : en cas de problème, la solution est chez l’éleveur, la recherche et la mise en place se font main dans la main, en équipe.
  • La solution doit enfin être personnalisée – personne mieux que l’éleveur ne sait ce qui va lui convenir dans son environnement.

Pour le vétérinaire qui attend que le téléphone sonne, l’enjeu consiste à explorer tous les moyens lui permettant de remettre un pied dans l’élevage, en dehors des actes de pompier. L’empathie ne se décrète pas, mais rétablir le lien passe très probablement par cet effort de disponibilité, d’accessibilité et d’écoute – un effort qui consiste aussi à casser quelques murs et reconstruire des ponts vers des éleveurs qui n’attendent sans doute que cela.

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