Lâcher prise ou… se recentrer ?

« C’est bon, laisse tomber ! Allez, lâche prise ! » Qui n’a pas entendu cette injonction formulée dans le but de calmer une douleur, d’aider un ami ou un collaborateur à surmonter une grande insatisfaction, voire une injustice. Pour certains gourous du développement personnel, le « lâcher prise » est devenu un remède miracle pour arriver à accepter un résultat ou une situation inférieure aux attentes.

Une expression passe partout, facilement synonyme pour certains de « Finalement je me fous des conséquences de mes actions » ou « En fait le plus important c’est mon confort et ma santé, et tant pis pour les autres ». Un pansement bien souvent aussi rapide qu’inefficace sur les plaies de l’insatisfaction personnelle et professionnelle.

Faut-il vraiment « lâcher prise » ?

Vétérinaire est un métier qui conduit à vivre de nombreuses émotions, bien souvent dans un yoyo brutal et permanent. Au cours de la même journée, le praticien passe régulièrement et rapidement d’une émotion à une autre : de la grande satisfaction d’un succès thérapeutique à la colère générée par un client difficile et injuste, du découragement devant la facture impayée d’un client de mauvaise foi à la joie de voir un animal opéré repartir sur ses 4 pattes, de la douleur de l’euthanasie devenue inévitable malgré des soins attentifs au plaisir des remerciements du client fidèle, de la peur de ne pas réussir un entretien de recadrage à l’excitation d’une formation technique, etc…

La gestion des émotions négatives comme le découragement, la colère, la détresse passerait pour certains par ce fameux « lâcher prise », pommade magique pour gommer tous ces « down », tous ces « bas », tous ces moments qui nous plombent lorsqu’on fait le bilan de la semaine. Alors faut-il vraiment « lâcher prise » ?

Et si oui, comment y parvenir ?

Tout d’abord en prenant véritablement conscience que ces émotions ne sont que le fruit de notre propre représentation, la conséquence de l’interprétation que notre cerveau fait des événements. Les actes ne sont intrinsèquement ni bons ni mauvais, mais ils nous touchent différemment par rapport à ce que nous attendons, que nous espérons.

De ce fait, « lâcher prise » signifie probablement d’abord comprendre que nous sommes pilotés par nos émotions et nos ressentis, que la racine est bien en chacun d’entre nous. Ainsi « lâcher prise » c’est commencer par chercher à comprendre pourquoi nous sommes traversés par telle émotion dans telle situation, décrypter ce qui nous pousse par exemple dans la tristesse et la désillusion. Cela signifie pouvoir se détacher des événements qui se déroulent devant nos yeux et qui vont provoquer de tels ressentis dans nos cerveaux, nos cœurs et nos corps.

Pour le philosophe Alexandre Jolien qui a beaucoup réfléchi au « lâcher prise », « le détachement n’est pas l’indifférence, c’est une distance par rapport à son propre point de vue ». Accepter donc que les choses puissent être différentes de ce qu’on avait imaginé ou espéré. Et que l’émotion générée est autant due au résultat obtenu qu’à la projection que nous avions imaginée. Penser pouvoir toujours tout faire, et surtout tout maitriser est malheureusement la meilleure façon d’être très souvent dans la déception ou dans le sentiment d’échec.

Se méfier de notre mémoire sélective

En effet, il convient de ne pas se laisser berner par notre propre mémoire, si prompte à déformer la balance émotions positives / émotions négatives. Ce filtre nous pousse à croire par exemple que les clients mécontents sont extrêmement nombreux, bien plus nombreux ou bien plus influents que tous les clients satisfaits.

La capacité à atténuer ou oublier les bonnes nouvelles n’a d’égal que la capacité de notre cerveau à monter en épingle les informations désagréables. Les plaisirs d’une démarche diagnostique réussie ou d’un geste technique bien réalisé deviennent facilement la norme dans la tête du praticien et sont ainsi vite oubliés ou totalement sous évalués. Il en va de même pour les remerciements des clients heureux qui sont hélas régulièrement ‘mal entendus’ ou évanescents.

Par exemple un avis client 1* sur Google va générer un dégout, une profonde insatisfaction bien plus impactante et durable qu’un avis très positif à 5*. L’émotion générée par cet avis négatif est, par expérience, bien plus forte chez le praticien que celle initiée par exemple par 4 avis à 5*. Alors que les premiers sont extrêmement rares par rapport aux retours très favorables habituels, ce qui se traduit à une moyenne traditionnellement très élevée dans les cliniques vétérinaires, comprise entre 4 et 4,5.

Notre mémoire négativement sélective est un mauvais étalon pour évaluer a posteriori la réalité. D’où cette phrase magnifique de Rick Hanson, psychologie américaine : « Notre cerveau agit sur les émotions négatives comme du Velcro, et sur les émotions positives comme du Teflon ». Ne pas se laisser berner par le résultat de ses souvenirs, rester sur des évaluations factuelles sont la deuxième étape dans le lâcher prise.

Trouver la bonne position en se recentrant

Pour Alexandre Jolien toujours, « lâcher prise, c’est apprendre à flotter ». C’est-à-dire être dans le juste milieu entre couler et surnager. Couler, sombrer peut survenir en étant plombé par ses propres émotions, en étant tétanisé jusqu’à ne plus pouvoir agir, ne plus bouger pour se laisser couler. C’est se sentir découragé et ne plus avoir envie de nager. Et de l’autre côté, surnager, c’est parfois se débattre de manière désordonnée, peu efficace, pouvant conduire rapidement à l’épuisement. Pour d’autres, surnager signifie être au-dessus de la mêlée, être totalement désengagé de ses actes et de leurs conséquences, ne pas se soucier des réalités. Car le « lâcher prise », ce nécessaire détachement, ne signifie pas de ne plus avoir de comptes à rendre, ni de se moquer de la qualité de son travail et de ce que pensent les clients et les salariés.

Finalement « lâcher prise » en tant que tel pourrait donc être un risque, comme le grimpeur qui lâcherait sa prise au milieu de la paroi qu’il escalade, comme le trapéziste qui glisserait inexorablement. Et aussi comme un enfant sur le bord du tourniquet qui lâcherait les mains aux risques de tomber et de se blesser gravement !

Alors pour se sentir en sécurité et être moins vulnérable, la meilleure solution n’est-elle pas de se recentrer pour moins subir la force centrifuge qui pourrait nous conduire à tomber du manège ? N’est-elle pas de revenir au centre du tourniquet pour moins subir, se centrer sur ce qui est important pour soi pour diminuer l’effet des tourbillons du quotidien. Prendre par exemple conscience que l’évaluation négative par une personne anonyme, incompétente et pilotée elle-même par ses émotions négatives, ou par sa volonté justement de toute puissance, doit être intégrée à l’aune à la fois de tous les retours positifs des autres clients, et de toute l’implication et la conscience professionnelle portées à ce client.

Il est ainsi nécessaire de se recentrer sur ce qui dépend de soi, prendre bien conscience de la richesse que constitue l’engagement mis à faire de son mieux. Être certain sincèrement et authentiquement de mobiliser tous ses moyens disponibles pour réaliser sa mission est le meilleur pour « apprendre à flotter » et mieux vivre son engagement vétérinaire.

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